La Capital de Marx

Éditions Smolny - Michaël Heinrich - Le Capital de Marx

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Un podcast publié le 11/11/2022 à 12h

Nous recevons aujourd’hui Ivan Jurkovic, membre des éditions Smolny, à l’occasion de plusieurs initiatives organisées au LAG, le Lieu Auto Géré du bassin minier, en liaison avec les éditions Smolny :

À propos des éditions Smolny, et de Michaël Heinrich....

« L’Institut Smolny, siège du Tsik et du Soviet de Petrograd, se trouvait à des kilomètres du centre, à la limite de la ville, sur les bords majestueux de la Néva. J’y allai en tramway. Le wagon, bondé de gens, avançait en gémissant, à l’allure d’un escargot, le long des rues pavées de pierres et couvertes de boue. En arrivant au terminus, on voyait se dresser le couvent Smolny avec ses belles et gracieuses coupoles bleu fumée, soulignées d’un filet d’or sombre ; à côté, on apercevait la façade de l’Institut Smolny, une sorte de caserne longue de deux cents mètres et haute de deux grands étages, avec les armes impériales géantes, gravées dans la pierre, toujours là, au-dessus de l’entrée, insolemment. (...)

[Smolny] renfermait plus d’une centaine de vastes pièces blanches et nues avec des plaques émaillées sur les portes, qui continuaient à informer le passant qu’il s’agissait du « bureau de la surveillante », de la « quatrième classe » ou de la « salle des professeurs » : par-dessus pendaient des écriteaux grossièrement tracés, témoignage de la vitalité de l’ordre nouveau : « Comité central du Soviet de Pétrograd », « Tsik », « Bureau des affaires étrangères », « Union des soldats socialistes », « Comité central des Syndicats panrusses », « Comités d’usine », « Comité central de l’Armée » ; on y trouvait également les bureaux et salles de réunion des partis politiques.

Les longs couloirs voûtés, éclairés de rares ampoules électriques, débordaient de soldats et d’ouvriers dont on n’apercevait que les silhouettes fuyantes, souvent ployées sous le poids de grands ballots de journaux, de tracts, de toute sorte de propagande imprimée. Leurs bottes pesantes résonnaient sur le plancher de bois comme un roulement de tonnerre grave et incessant. Partout, des écriteaux proclamaient : « Camarades ! Dans l’intérêt de votre santé, veillez à la propreté. » A tous les étages, sur les paliers, on vendait tracts et publications de divers partis politiques, qui s’empilaient sur de longues tables. Au rez-de-chaussée, le réfectoire, vaste et bas de plafond, n’avait pas changé de destination. J’achetai pour deux roubles un ticket qui donnait droit à un repas et je fis la queue avec des centaines d’autres gens en attendant de m’approcher des longues tables où vingt hommes et femmes plongeaient leur louche dans d’immenses chaudrons pour en en extraire de la soupe aux choux, de gros morceaux de viande, ou des monceaux de kacha, le tout accompagné de quignons de pain noir. Moyennant cinq kopecks, on recevait du thé dans une tasse en fer-blanc. Chacun empoignait une des cuillers en bois graisseuses qui s’entassaient dans un panier. Pressés sur des bancs, le long des tables en bois, des prolétaires affamés dévoraient leur nourriture, discutaient, échangeaient des grosses plaisanteries d’un bout à l’autre de la salle.

Il y avait une autre cantine, en haut, qui était réservée au Tsik, bien que tout le monde y allât. Là, on pouvait obtenir du pain généreusement beurré et d’interminables verres de thé.

Dans l’aile sud, au premier, se trouvait la grande salle des séances, l’ancienne salle de bal de l’Institut. Elle était haute et blanche, divisée par deux rangées de colonnes massives, et éclairée par des centaines d’élégantes coupoles qui brûlaient dans des lustres d’un blanc vitreux ; à une extrémité, s’élevait une estrade, flanquée de deux grands lampadaires à branches multiples ; au fond pendait un cadre doré dont on avait découpé le portrait de l’Empereur. C’est là que tous les jours de fête s’étaient tenues les grandes-duchesses entourées de brillants uniformes militaires et ecclésiastiques. »

Image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Capital.jpg